C'est de ce même pas ralenti que je me dirige vers le téléphone et, qu'en une seule fraction de seconde, tout se précipite.
- Clémence, je vous passe le ministre, indique son assistante.
- Bonjour Clémence, j'espère que votre séjour continue de bien se poursuivre.
- Oui, nous avons bien avancé...
- Bien, ce matin vous allez me rejoindre au ministère de l'éducation qui se trouve à Phoenix...
Au cours de la conversation, il m'indique et précise le déroulement de la matinée...
- Etes-vous allée à Souillac ? interroge-t-il. Il se trouve le musée du poète mauricien, Robert Edward Hart, j'aimerais que vous visitiez ce lieu... vous n'avez pas encore découvert cette région, je crois...
Veuillez m'excuser, avais-je envie de répondre... comment résister au plaisir de rencontrer ce poète à la plume fragile, aux parfums lyriques, aux roulements de "r" qui sonnent comme des lames tempétueuses ! Passons les tibias qui prennent leur jambe à leur cou, les merles crieurs, les marins décoiffés mais Souillac, cet écrin de la Bretagne !
- Mardi nous avons pris le chemin de Souillac, je précise... le musée était fermé à l'origine mais nous avons réussi à entrer quelques minutes.
En moi, la confirmation que nous pensons le projet d'un même regard.
Les objectifs visés de promouvoir la lecture, l'écriture et de mettre en valeur ce patrimoine littéraire et culturel, est bien l'objet du travail à accomplir...
Le programme de cette journée semble bien rempli et comprend entre autre la visite d'une école dans l'une des zones défavorisées de l'Ile Maurice.
La journée s'annonce... marathonienne.
Et je suis loin d'en mesurer l'ampleur...
J'appelle aussitôt Dinand pour l'informer que notre première matinée "lézarde" arrive à son terme et qu'un vent de panique souffle sur nous. 45 minutes de trajet nous distancent et nous devons être sur place dans 50 minutes. Il sait combien cette rencontre est importante et attendue, décisive à plusieurs niveaux pour le projet et mon retour en France. En effet, en raison de la compression du budget et de l'importance du travail à mettre en place, combien de fois pourrai-je revenir ? Ensuite, une autre personne de l'association pourra-t-elle se déplacer avec moi, même si le but de mon travail est d'impliquer et de coordonner la population et les acteurs culturels locaux. Je dois également présenter les propositions de programmation et d'animations, la logistique qui les accompagne, les partenariats envisagés, la communication et la mise en relation avec les archives, associations, musées, écoles, et documents maritimes nécessaires à toute l'élaboration du projet.
La main tendue que j'avais réclamée à Paris est heureusement solidement serrée dans la mienne.
Raison pour laquelle, certainement, à l'heure dite, nous frappons à la porte du ministère.
Quinze minutes plus tard, nous prenons la direction de la côte ouest où nous ne restons que 5 minutes. Le temps de faire les repérages, de prendre des notes sur le potentiel culturel du site, puis de foncer vers le Morne Brabant.
Ma première remarque en arrivant sur les lieux sera de constater combien la côte pour atteindre l'école est raide, voire inaccessible pour une roulotte. Deux chevaux y parviendront-ils ?
En sortant de la voiture, j'aperçois une centaine d'enfants tous coiffés du chapeau du père noël ; ils s'impatientent de découvrir leurs cadeaux et chantent "un petit papa noël" dans la chaleur de Maurice.
Les rires vont animer le préau jusqu'à ce que l'animateur prononce le "la" d'une séga... en une fraction de seconde, les frêles corps se déchaînent, les hanches ondulent. La scène devient un spectacle où tous les enfants se trémoussent joyeusement.
Ensuite, l'arrivée du ministre va marquer le début des discours et des raisons de sa présence.
Le directeur prend la parole. Derrière lui se dresse la montagne et il rappelle l'importance de ne pas être son ombre. Nous savons que des hauteurs du Morne, l'écho de la mort continue de résonner, et qu'un vent de liberté doit rompre les chaînes pour hisser les enfants au sommet de leur destin. Il est souligné l'énergie déployée à leur éducation malgré le peu de moyens et la zone défavorisée dans laquelle l'école se situe. Ce ne sont pas des discours de remerciements soporifiques, ni acidulés, il y a de la franchise et de la force. Il y a ce quelque chose qui tremble dans leur voix et provoque en chacun l'importance de l'éducation, du savoir et de la connaissance.
Les enfants peinent à suivre les paroles et commencent à s'agiter.
Le ministre vient à son tour à la tribune. Un autre sujet va être évoqué et peut faire écho à nous bretons. Quelle est la place de la langue maternelle dans l'apprentissage scolaire ? "Je me suis exprimé en français, mais si je veux être compris des enfants, je vais maintenant parler créole" précise-t-il en souriant. Car les mauriciens sont confrontés à une difficulté : la langue officielle est l'anglais, mais la langue de coeur est le français. Tous s'expriment et parlent en créole, mais également en hindi, en tamoul, mandarin, bref une dizaine de langues se côtoient. Maintenant, comment faire face à des enfants en difficultés scolaires qui, peut-être, pourraient comprendre une leçon dans leur langue maternelle ? Le sujet fait débat à Maurice et il est question d'institutionnaliser la langue créole (kréol ? = premier objet de débat = l'écriture d'un mot que tous écrivent à leur façon). Dr Vasant Bunwaree rappelle et précise qu'en cours, les enseignants sont autorisés à utiliser le créole pour expliquer un mot que l'enfant ne saisit pas. Ce sujet est fragile bien sûr... Il poursuit son message et s'interrompt à un moment pour demander à l'assemblée : "alors ? qu'est-ce que je viens de dire"... le silence sera rompu par la voix d'une petite fille ; celle qui dansait fièrement le sega sur la scène plus tôt. Aurore, suspendue à un mètre du sol, participera à sa manière à rendre compréhensible ce message : faire le choix de son avenir.
Une fois la cérémonie achevée, vient la remise des cadeaux et la découpe d'un gigantesque gâteau. Pendant que les enfants goûtent à ce festin, notre équipe s'éclipse dans une pièce afin de poursuivre la discussion et la mise en place du futur... Trente minutes plus tard, nous prenons la direction du Parc national des Gorges de la Rivière Noire où plusieurs invités nous rejoignent. Dans un restaurant panoramique, il sera abordé le projet de la roulotte et toute la mise en place de l'événement. Plusieurs partenaires culturels de choix présentent leur action et expriment leur volonté de s'impliquer dans la réussite du Tour de Maurice. Les voix silencieuses semblent avoir fait leur chemin... Le déjeuner va être l'occasion d'un échange très riche qui rappelle fortement cette citation de Goethe : "veux-tu vivre heureux ? voyage avec deux sacs, l'un pour donner, l'autre pour recevoir".
Après le dessert, les voitures serpentent les montagnes en direction de Grand Bassin. Une monumentale statue accueille les pèlerins qui, une fois l'an, marchent vers cette eau sacrée. En provenance des quatre coins du monde et de toute l'Ile, le "Maha Shivaratri" transforme cet endroit de l'Ile Maurice, en un haut centre de spiritualité.
Nous progressons vers le musée de Robert Edward Hart, patrimoine national. Aimée Chasle, présidente de l'association "Clac" pénètre ce sanctuaire de la poèsie et me raconte son histoire ; cette maison qu'elle fréquentait autrefois et qui accueillait les auteurs, les poètes. Rien n'a changé et tous les objets se mettent à parler par la présence de cette femme. Qui est-elle, sinon une amie de l'homme... Elle s'est assise ici, et puis là, les fenêtres claquaient sous la pression du vent, et l'homme marchait de ce pas mesuré, la cadence du poète... Veuve de l'ambassadeur Raymond Chasle, elle porte à bout de bras l'association "Clac" (centre de lecture et d'animation culturelle). Notre rencontre augure de belles perspectives associatives et littéraires.
Après la visite du musée, nous faisons une halte dans une demeure où vécu le Comte de Souillac avant de gagner Gris Gris.
A vive allure, comme si nous cherchions à dépasser le temps... nous filons sur la route, traversons une allée bordée de palmiers et... nous nous arrêtons. Devant nous, une vieille locomotive crache l'histoire d'un passé révolu, une ancienne calèche garde le secret d'une époque où les fers des chevaux claquaient encore... Tout cela explose dans un silence retenu.
- Voici la roulotte, sourit le ministre en me regardant.
Ah, oui, la roulotte ? confirme une autre personne. Je garde mon sérieux, intriguée par la situation. Dans ce beau jardin, sommeillent des moyens de transport anciens. Et tous, se prêtent à imaginer notre roulotte, ce qu'elle comportera, quel décor, quel intérieur. Les yeux brillent de mille feux... Puis, la réalité nous rattape. Nous devons reprendre la route. Comme une réponse à un voeu formulé en début de séjour, mais que le temps n'a pas rendu possible, nous allons visiter une usine de canne à sucre. N'ayant plus de batterie, je ne pourrai pas faire de photos. Pourtant, cette visite-là méritait plus que toutes les autres de fixer quelques instants. Le mot d'ordre était : "nous manquons de temps". C'est pratiquement en courant que nous nous hissons tous sur d'étroits escaliers, écoutons les explications tandis que je peine à prendre des notes, passons d'une cuve à une autre à mesure que sous les casques de sécurité la chaleur augmente. Enfin, après avoir gravie des centaines de marches, je m'exclame : "chance ! nous ne pouvons plus aller plus haut" car en haut, ce sont les marches du paradis : le ciel ! Quarante minutes plus tard après cette visite éclaire, une pause pemettra de reprendre notre souffle et de nous rafraîchir avant d'entendre "Clémence, êtes-vous fatiguée, nous poursuivons ?" et moi, de répondre...
"Tout va bien, poursuivons". Notre volonté était de gagner Mahébourg... mais ce sera peine perdue car la nuit commence à tomber. Aussi, pour clôturer la journée nous allons traverser plusieurs kilomètres de champ de canne à sucre avant de gagner un promontoire et pouvoir observer le coucher du soleil... Une brise légère souffle, et nous faisons le debriefing de la journée, les visages épuisés mais les yeux cernés de bonheur...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire